jo2217.jpg John Overmyer

La Russie peut-elle sauver l’Occident ?

MOSCOU – Les rapides bouleversements dans l’économie mondiale et dans la politique internationale mettent au jour, une fois encore, un éternel sujet d’inquiétude en Russie : sa relation avec l’Europe, ainsi qu’avec l’ensemble des pays de la région euro-atlantique. La Russie appartient bien sur en partie à cette région. Mais la Russie ne peut et ne veut s’y associer sans réserves – du moins pas pour l’instant. La situation est pourtant bien différente aujourd’hui.

Il semble de plus en plus manifeste que le monde euro-atlantique, dont les modèles économiques et politiques semblaient si triomphants il y a 20 ans, est maintenant à la traine derrière la Chine et certains autres pays asiatiques. Il en est de même pour la Russie qui, malgré des discussions encourageantes sur le développement de l’innovation, souffre d’une économie en pleine décomposition puisque la corruption a été autorisée à s’y métastaser et que le pays repose de plus en plus sur la richesse de ces ressources naturelles. L’Asie est finalement le vrai vainqueur de la guerre froide.

Ces puissances émergeantes posent problèmes quant aux choix géostratégiques de la Russie. Pour la première fois depuis des années, le fossé des valeurs entre la Russie et l’Union Européenne semble s’élargir. L’Europe se remet du nationalisme d’état , tandis que la Russie se bâtit un état nation. Ecornés par l’histoire et refusant d’être ravagé encore une fois par la guerre, les Européens ont préféré le compromis et ont renoncé à l’usage direct de la force dans les relations internationales.

Les Russes, par ailleurs, mettent l’accent sur leur « puissance dure », dont leur force militaire, car ils savent qu’ils vivent dans un monde dangereux et n’ont personne derrière qui se cacher. Et compte tenu de son manque comparatif de « puissance douce » –   qui pourrait se traduire par son attrait social, culturel et économique – le pays se tient prêt à recourir aux avantages compétitifs (c’est-à-dire à la richesse de ses ressources) à sa disposition.

Les développements politiques internes de la Russie contribuent aussi à l’éloigner de l’Occident. En termes simples, la Russie s’écarte peu à peu de la démocratie.

Ce fossé des valeurs n’est pas un obstacle insurmontable à un rapprochement géostratégique. Mais associé à un agacement mutuel, particulièrement exacerbé en Russie, il devient de plus en plus difficile de le réduire. Car si l’élite russe ne s’est jamais considérée vaincue pendant la guerre froide, l’Occident a toujours considéré la Russie comme une nation vaincue – une attitude symbolisée par l’expansion de l’OTAN vers l’est, source de tensions permanentes. Ce ne fut qu’après que l’Occident se soit fait refouler par les armes en Ossétie que l’expansion de l’OTAN fut arrêtée nette. Mais l’OTAN n’a pas pour autant abandonné ses ambitions expansionnistes.

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L’expansion de l’OTAN n’est rien d’autre que l’extension de sa zone d’influence – et dans une sphère des plus sensible, la sphère politico-économique. Pourtant la réticence de l’Occident à abandonner cet effort s’associe à un refus répété de reconnaître le droit de la Russie à posséder sa propre sphère d’influence.

L’expansion de l’OTAN donne à la guerre froide un goût d’inachevé. La confrontation idéologique et militaire a disparu mais la rivalité géopolitique qu’elle impliquait est revenue sur le devant de la scène. Les vieilles mentalités ont donc survécus des deux côtés.

Les débats sur l’énergie en sont un autre exemple. L’Europe non russe devrait remercier le Tout-Puissant pour la présence d’une Russie riche en ressources à ses frontières ; tandis que la Russie devrait être reconnaissante d’avoir de si riches clients. Mais les différences naturelles entre les intérêts des consommateurs et ceux des producteurs d’énergie prennent un tournant politique/sécurité comme en témoigne les discussions sur l’éventualité d’un « OTAN énergétique ».

Face à l’impossibilité d’un accès avantageux aux institutions de l’euro-atlantique, la Russie glisse rapidement vers un alignement avec la Chine, le ‘petit frère’, mais non moins respecté. Le « choix asiatique » de la Russie aujourd’hui n’est pas le même que le choix Slavophile/Eurasien du passé. En apparence, cela semble un choix en faveur d’une civilisation à la croissance rapide. Mais l’éloignement actuel d’avec l’Europe – berceau de la civilisation et de la modernisation russe – menace l’identité russe et augmentera ses risques géostratégiques à l’avenir.

L’Europe ne profite pas non plus de cet éloignement. Elle continuera de plonger vers une magnifique décadence, telle une Venise. Les Etats-Unis aussi sont perdants. Sans la Russie, qui devrait se maintenir au troisième rang des puissances mondiales, il est impossible de résoudre les problèmes clés de la sécurité internationale.

L’architecture actuelle de la sécurité euro-atlantique semble convenir à la majorité des Américains et des Européens, bien que devenant de plus en plus fragile et contreproductive. La Russie va donc se battre pour créer une nouvelle architecture principalement par ses propres moyens – que ce soit par un traité sur la sécurité collective de l’Europe, ou même par son accession à l’OTAN. Ce n’est pas uniquement dans l’intérêt politique de la Russie, ou dans celui de sa civilisation, mais cela reflète notre responsabilité vis à vis de l’ensemble de la communauté des nations euro-atlantiques, affaiblie par la « non résolution » de la guerre froide.

L’idée d’une « Union de l’Europe » entre la Russie et l’Union Européenne devrait être considérée à long terme. Cette Union devrait être basée sur un espace humain, économique et énergétique commun. La combinaison d’un nouvel arrangement de sécurité pour la communauté euro-atlantique et l’établissement de l’Union de l’Europe pourrait enrayer le déclin du poids international de l’Occident.

https://prosyn.org/LawbeY0fr